Julien, le héros du roman, est un personnage très ambigu. L’ambition sociale, l’ambition amoureuse, qui semblent ses principales passions, le conduisent au meurtre qu’il tente froidement sur la personne de Mme de Rênal. Les jurés voient en lui « un paysan qui s’est révolté contre la bassesse de sa fortune », et ce n’est pas entièrement faux. Les femmes lui semblent, comme la carrière militaire et la carrière ecclésiastique, un utile moyen de parvenir. Il raisonne, il calcule, et en triomphe par stratégie et par orgueil. Mais le lecteur découvre au fil du texte un jeune homme émouvant. Son orgueil et son talent le placent au-dessus de sa condition première, mais son origine médiocre le rabaisse aux yeux de la haute société, et à ses propres yeux d’ailleurs. Julien, qui a rêvé d’équipées héroïques, est un homme passionné et sincère, au fond. Sa spontanéité et son naturel le révèlent à lui-même. Il accuse fort justement l’ordre social, et réussit à trouver le bonheur au terme de sa vie.
Face à Julien, Mathilde de la Mole et Mme de Rênal incarnent deux formes opposées de l’amour, plus passionnel chez celle-ci, plus intellectuel chez celle-là. Mme de Rênal, femme mariée, et mère de deux enfants, aime avec passion et tendresse, là où Mathilde n’aime que par orgueil, lorsqu’elle se sent dominée, mais alors, avec fougue et enthousiasme. Mme de Rênal, qui écrit cette funeste lettre sous la dictée de son confesseur, tente malgré tout de sauver son amant, et avec Mathilde, déploie tous ses efforts en vain. Ces deux femmes très différentes communient dans l’amour du même homme. Mais la fin pathétique de Mme de Rênal, qui se laisse mourir, sans pour autant attenter à ses jours, comme elle l’a promis, s’oppose au geste dramatique et spectaculaire de Mathilde qui, en enterrant cette tête chère, revit le geste romanesqu*e de Marguerite de Navarre. Ces deux images finales révèlent bien le caractère de l’une et