Le progrès
Pour ceux qui pensent un peu hâtivement qu’il a existé de tous temps une recherche pure, dégagée des contingences matérielles et économiques et que la science appliquée, avec son dernier avatar, la techno-science, n’est qu’un phénomène récent dont les fréquents « accidents » ou conséquences néfastes ne sont que des erreurs de jeunesse, Pierre Thuillier remet les pendules à l’heure [4].
Hugues de Saint-Victor est un « ancêtre », mais qui nous touche de près ; ce chanoine vivait au XIIème siècle sur les bords de la Seine dans l’actuel Quartier latin. Il a émis, vers 1140, l’idée d’introduire l’enseignement des techniques dans l’enseignement de la philosophie. C’était une idée très hardie pour son époque. Il y avait alors, d’un côté, les écoles (qui allaient bientôt engendrer l’université telle qu’elle existe aujourd’hui ; on y enseignait la théologie, le droit, la médecine et la philosophie) et puis de l’autre une société qui devenait marchande, technicienne. Le nombre des ingénieurs se multipliait et Hugues de Saint-Victor disait : « il faut compléter les enseignements nobles (la philosophie, la théologie) par l’introduction de l’enseignement des techniques ». On l’a souvent, peut-être à tort, considéré comme une sorte de révolutionnaire qui, dans cette société féodale, cléricale et chrétienne, voulait qu’on fasse une place à des préoccupations pratiques, laïques, concrètes, adaptées au mouvement historique qui allait vers la technique.
Le mot philosophie peut prêter à confusion car, au XIIème siècle, la science au sens moderne du mot n’existe pas. Le terme science s’appliquait en fait à la « physique », comprise dans un sens très philosophique, une étude des causes et des effets, comme chez Aristote le mouvement, la forme, la matière... Lorsque le chanoine, par ailleurs un être contemplatif, mystique, dit qu’il faut introduire dans la philosophie ce qu’on appelait les « arts mécaniques », cela va loin. Dans