Le personnage matricule
Nous en a-t-on assez parlé du « personnage » ! Et ça ne semble, hélas, pas près de finir. Cinquante années de maladie, le constat de son décès enregistré à maintes reprises par les plus sérieux essayistes, rien n'a encore réussi à le faire tomber du piédestal où l'avait placé le XIXe siècle. C'est une momie à présent, mais qui trône toujours avec la même majesté ¬ quoique postiche ¬ au milieu des valeurs que révère la critique traditionnelle. C'est même là qu'elle reconnaît le « vrai » romancier : « il crée des personnages »...
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Un personnage, tout le monde sait ce que le mot signifie. Ce n'est pas un il quelconque, anonyme et translucide, simple sujet de l'action exprimée par le verbe. Un personnage doit avoir un nom propre, double si possible : nom de famille et prénom. Il doit avoir des parents, une hérédité. Il doit avoir une profession. S'il a des biens, cela n'en vaudra que mieux. Enfin il doit posséder un « caractère », un visage qui le reflète, un passé qui a modelé celui-ci et celui-là. Son caractère dicte ses actions, le fait réagir de façon déterminée à chaque événement. Son caractère permet au lecteur de le juger, de l'aimer, de le haïr. C'est grâce à ce caractère qu'il léguera un jour son nom à un type humain, qui attendait, dirait-on, la consécration de ce baptême.
[…] Aucune des grandes œuvres contemporaines ne correspond en effet sur ce point aux normes de la critique. Combien de lecteurs se rappellent le nom du narrateur dans La Nausée ou dans L'Étranger ? Y a-t-il là des types humains ? Ne serait-ce pas au contraire la pire absurdité que de considérer ces livres comme des études de caractère ? Et Le Voyage au bout de la nuit, décrit-il un personnage ? Croit-on d'ailleurs que c'est par hasard que ces trois romans sont écrits à la première personne ? Beckett change le nom et la forme de son héros dans le cours d'un même récit. Faulkner donne exprès