Le meneur de loup
Ses grands doigts de glace profondément enfoncés dans la terre, le froid se cramponne sur la Sologne et s’attarde à pondre son frimas sur l’échine du pauvre monde. Visible en buées au contact des bouches, il ballotte son grand corps fluide au gré des vents mordants. Sa souveraineté sur les mois d’hiver a des exigences cruelles. Il se roule, se prélasse sur tout. Dans les bois, ses jeux font naître les douleurs sourdes des grands arbres aux branches déjà blessées par la foudre des jours d’été et brisées par les colères des vents d’automne. Les jeunes sapins à la chair tendre éclatent à cris secs, sonores. L’homme entend cette annonce de ruine et blêmit, impuissant.
Chez les pauvres gens, cet hiver a achevé bien des vieillards et repris les quelques jours de vie de bien des nouveau-nés. Les fossoyeurs doivent appuyer de toutes leurs forces sur les membres raidis, ces branches d’hommes, pour les couchers dans le cercueil de sapin au parfum de printemps. En ouvrant le sol durcit, ils jurent contre le froid qui, pour se gausser, mord les oreilles et leurs mets de ridicules glaçons dans les moustaches. La terre prend un peu de repos entre ses deux peines d’automne et de printemps, avant que la charrue ne vienne déchirer, en fines et longues lanières, son ventre à nouveau mou. Les bonnes gisent flanc à flanc, sur un épais tapis lit de paille souple, dans la douce chaleur des étables aux murs crépis de bouses. Les Bêtes sauvages viennent rôder près des fermes, poussées par la faim qui leur noue les entrailles comme le froid noue le mal dans les poitrines.
Et les bûcherons n’osent guère s’aventurer à des abattages lointains, dans la crainte de rencontrer le loup qui jette la terreur en déchirant ses hurlements sur ses crocs avides d’entrailles et de chair.
La locature des bâtards ne vit, dans