La catégorie de « mal radical » évoque la réflexion morale et anthropologique de Kant : dans La religion dans les limites de la simple raison (1793), le philosophe de Königsberg explique qu’il y a un penchant au mal en l’homme, qui ne relève cependant par d’une perversion ni d’une malédiction innées – si l’homme incline au mal, c’est du fait de sa liberté, à savoir du fait qu’il se préfère toujours lui-même par rapport à ce qu’il doit ou devrait aux autres. Il se met en état d’exception vis-à-vis de ce que commande la loi morale et dont il a conscience, loi morale qui prescrit à tout être rationnel de préserver l’humanité dans sa globalité. Le mal consiste en la liberté mal employée, il est de la responsabilité de l’homme. De son côté, la catégorie de « banalité du mal » renvoie à l’hypothèse émise par Arendt dans son ouvrage sur le procès d’Eichmann à Jérusalem (de 1960 à 1962), fonctionnaire allemand qui revendiquait de ne pas être jugé par les Juifs pour crime contre l’humanité, au nom de son innocence relative : il s’occupait de la régulation des chemins de fer sur le territoire allemand, non de la solution finale que ses faits et gestes servaient pourtant, objectivement parlant. La thèse de la banalité du mal indexe, à propos d’un crime hors de proportion avec toutes les abjections commises par l’homme avant la Solution finale, « l’étrange lien entre l’absence de pensée et la mal » (Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, « Post-scriptum », trad. fr. Paris, Gallimard, 2002, p. 1296). Pour employer à nouveau les propres paroles d’Arendt : « Eichmann n’était ni un Iago ni un Macbeth ; et rien n’était plus éloigné de son esprit qu’une décision, comme chez Richard III, de faire le mal par principe. » (Ibidem, p. 1295). Le mal radical selon Kant, la banalité du mal selon Arendt. Nous avons donc deux constructions conceptuelles dont nous ne savons pas si elles sont compatibles, et – dans l’hypothèse où elles joignent – si elles sont