Le loup attendri, Jean Anouilh.
Une jeune agnelle endormie.
Obscurément il regrettait
Que leur race fût ennemie :
Quelle grâce et quelle douceur !
Ce loup rêvait d'une âme sceur,
D'une affectueuse présence,
Qui lui permît de débonder son cœur...
Les loups sont plus sentimentaux qu'on pense,
Mais personne ne les comprend.
C'est une tradition en
France
D'ignorer l'envie de tendresse
Qui dort au cœur des assassins.
Hélas ! ce sont le plus souvent
Les innocents,
Se méprenant sur leurs desseins,
Qui, par l'idée qu'ils ont de leur scélératesse,
Les obligent à les tuer.
Ce loup-là était tout amour.
Il était saint
François d'Assise.
Il était au point de pleurer;
Quand la sotte le voit et appelle au secours.
Que voulez-vous que je vous dise ?
Un malheur est vite arrivé.
Et il arrive qu'on se vexe...
Ce cri, tant entendu, réveille un vieux réflexe.
Un bond, un coup de dent, et notre loup, navré,
La tue.
Après d'ailleurs, il la trouva fort tendre...
Pourtant, si elle l'avait vue
Cette lueur d'amour au fond de sa prunelle!
Si elle avait fait confiance, une fois,
A la bonté universelle...
Ah ! si elle avait eu la sagesse d'attendre
L'éveil du sentiment chez ce loup aux abois;
Légère, elle courrait encore dans les bois...
Il faut dire que les agnelles
Ont l'esprit un peu étroit,
Ne lisant pas assez les journaux progressistes
Où l'on se penche sur l'âme des assassins.
Voilà ce que l'on gagne à être conformiste !
On doute qu'un tueur puisse être un petit saint;
Qu'est-ce qu'on y récolte ?
Un mauvais coup.
D'un autre côté, je crois
Qu'il faut avouer que les loups
N'ont pas la tête de l'emploi.