Le lion et le moucheron
Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi Me fasse peur ni me soucie (2) ? Un Bœuf est plus puissant que toi, Je le mène à ma fantaisie. À peine il achevait ces mots Que lui-même il sonna la charge, Fut le Trompette et le Héros. Dans l'abord (3) il se met au large, Puis prend son temps (4), fond sur le cou Du Lion, qu'il rend presque fou.
Le Quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit, on se cache, on tremble à l'environ ; Et cette alarme universelle Est l'ouvrage d'un Moucheron.
Un avorton de Mouche en cent lieux le harcelle,
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau, Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux Lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air qui n'en peut mais (5), et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat ; le voilà sur les dents.
L'Insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin L'embuscade d'une Araignée : Il y rencontre aussi sa fin. Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire, Qui périt pour la moindre