Le cheval et l'ane
En ce monde il se faut l'un l'autre secourir :
Si ton voisin vient à mourir,
C'est sur toi que le fardeau tombe.
Un âne accompagnait un cheval peu courtois,
Celui-ci ne portant que son simple harnois,
Et le pauvre baudet si chargé qu'il succombe.
Il pria le cheval de l'aider quelque peu :
Autrement il mourrait devant qu'être à la ville.
«La prière, dit-il, n'en est pas incivile :
Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu.»
Le cheval refusa, fit une pétarade :
Tant qu'il vit sous le faix mourir son camarade,
Et reconnut qu'il avait tort.
Du baudet, en cette aventure,
On lui fit porter la voiture,
Et la peau par-dessus encor.
Courtois: à prendre ici dans le sens de « civil ».
Devant d’être: avant d’être.
La voiture: la charge de la voiture.
La Lionne et l’Ours
Mère lionne avait perdu son fan:
Un chasseur l'avait pris. La pauvre infortunée
Poussait un tel rugissement
Que tout la forêt était importunée.
La nuit ni son obscurité,
Son silence et ses autres charmes,
De la reine des bois n'arrêtaient les vacarmes:
Nul animal n'était du sommeil visité.
L'ourse enfin lui dit : « Ma commère,
Un mot sans plus : tous les enfants
Qui sont passés entre vos dents
N'avaient-ils ni père ni mère ?
- Ils en avaient. - S'il est ainsi,
Et qu'aucun de leur mort n'ait nos têtes rompues,
Si tant de mères se sont tues,
Que ne vous taisez-vous aussi ?
- Moi, me taire ! Moi, malheureuse ?
Ah ! J’ai perdu mon fils! Il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse !
- Dites-moi, qui vous force à vous y condamner ?
- Hélas ! C’est le destin, qui me hait. » Ces paroles
Ont été de tout temps en la bouche de tous.
Misérables humains, ceci s'adresse à vous.
Je n'entends résonner que des plaintes frivoles.
Quiconque en pareil cas, se croit haï des cieux,
Qu'il considère Hécube, il rendra grâce aux dieux.
Fan : faon. A l'époque de La Fontaine, ce mot désignait le petit de n’importe quelle bête sauvage. Certains