le bout
Qu'elle soit mystifiée, bien des hommes en ont conscience. « Quel malheur que d'être femme! Et pourtant le malheur quand on est femme est au fond de ne pas comprendre que c'en est un », dit Kirkegaard. Il y a longtemps qu'on s'est attaché à déguiser ce malheur.(..)Lui interdire de travailler, la maintenir au foyer, c'est assurer son bonheur. On a vu sous quels voiles poétiques on dissimulait les charges monotones qui lui incombent: ménage, maternité; en échange de sa liberté on lui a fait cadeau des fallacieux trésors de sa féminité. Balzac a fort bien décrit cette manœuvre quand il a conseillé à l'homme de la traiter en esclave tout en la persuadant qu'elle est reine. Moins cyniques, beaucoup d'hommes s'efforcent de se convaincre eux-mêmes qu'elle est vraiment une privilégiée.(..)
Le fait est que les hommes rencontrent chez leur compagne plus de complicité que l'oppresseur n'en trouve habituelle chez l'opprimé et ils s'en autorisent avec mauvaise foi pour déclarer qu'elle a voulu la destinée qu'ils lui ont imposé. On a vu qu'en vérité toute son éducation conspire à lui barrer les chemins de la révolte et de l'aventure: la société entière, à commencer par ses parents, lui ment en exaltant la haute valeur de l'amour, du dévouement, du don de soi en lui dissimulant que ni l'amant, ni le mari, ni les enfants ne seront disposés à supporter la charge encombrante. Elle accepte allègrement ces mensonges parce qu'ils l'invitent à suivre la peinte de la facilité, et c'est là le pire crime que l'on commet contre elle;dès son enfance et tout au long de sa vie on la gate, on la corrompt en lui désignant comme sa vocation cette démission qui tente toute existant angoissé de sa liberté; si on invite un enfant à la presse en l'amusant tout le jour sans lui donner l'occasion d'étudier, sans lui en montrer l'utilité, on ne dira pas quand il atteint l'age d'homme qu'il a choisi d'être incapable