Le Barbier De Seville
FIGARO : (Il aperçoit le comte.) J’ai vu cet abbé-là quelque part. (Il se relève.)
LE COMTE, à part : Cet homme ne m’est pas inconnu.
FIGARO : Non, ce n’est pas un abbé ! Cet air altier et noble…
LE COMTE : Cette tournure grotesque…
FIGARO : Je ne me trompe point ; c’est le comte Almaviva.
LE COMTE : Je crois que c’est ce coquin de Figaro.
FIGARO : C’est lui-même, monseigneur.
LE COMTE : Maraud ! Si tu dis un mot…
FIGARO : Oui, je vous reconnais ; voilà les bontés familières dont vous m’avez toujours honoré.
LE COMTE : Je ne te reconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras…
FIGARO : Que voulez-vous, monseigneur, c’est la misère.
LE COMTE : Pauvre petit ! Mais que fais-tu à Séville ? Je t’avais autrefois recommandé dans les bureaux pour un emploi.
FIGARO : Je l’ai obtenu, monseigneur, et ma reconnaissance…
LE COMTE : Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas, à mon déguisement, que je veux être inconnu ?
FIGARO : Je me retire.
LE COMTE : Au contraire. J’attends ici quelque chose, et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu’un seul qui se promène. Ayons l’air de jaser. Eh bien, cet emploi ?
FIGARO : Le ministre, ayant égard à la recommandation de Votre Excellence, me fit nommer sur-le-champ garçon apothicaire.
LE COMTE : Dans les hôpitaux de l’armée ?
FIGARO : Non ; dans les haras d’Andalousie.
LE COMTE, riant : Beau début !
FIGARO : Le poste n’était pas mauvais, parce qu’ayant le district des pansements et des drogues, je vendais souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval…
LE COMTE : Qui tuaient les sujets du roi !
FIGARO : Ah ! ah ! il n’y a point de remède universel ; mais qui n’ont pas laissé de guérir quelquefois des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats.
LE COMTE : Pourquoi donc l’as-tu quitté ?
FIGARO : Quitté ? C’est bien lui-même ; on m’a desservi auprès des puissances.
L’envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide…
LE COMTE : Oh ! grâce ! grâce, ami ! Est-ce que tu fais aussi des vers ?