La vie quotidienne sur le front durant la pgm: René Pigeard
Le 27 août 1916
Cher papa,
Dans la lettre que j’ai écrite à maman, je lui disais tout notre bonheur à nous retrouver «nous-mêmes» après s’être vus si peu de chose... à la merci d’un morceau de métal!... Pense donc que se retrouver ainsi à la vie c’est presque de la folie : être des heures sans entendre un sifflement d’obus au-dessus de sa tête... Pouvoir s’étendre tout son long, sur de la paille même... Avoir de l’eau propre à boire après s’être vus, comme des fauves, une dizaine autour d’un trou d’obus à nous disputer un quart d’eau croupie, vaseuse et sale; pouvoir manger quelque chose de chaud à sa suffisance, quelque chose où il n’y ait pas de terre dedans, quand encore nous avions quelque chose à manger... Pouvoir se débarbouiller, pouvoir se déchausser, pouvoir dire bonjour à ceux qui restent... Comprends-tu, tout ce bonheur, d’un coup, c’est trop. J’ai été une journée complètement abruti. Naturellement toute relève se fait de nuit, alors comprends aussi cette impression d’avoir quitté un ancien petit bois où il ne reste pas un arbre vivant, pas un arbre qui ait encore tris branches, et le matin suivant après deux ou trois heures de repos tout enfiévré voir soudain une rangée de marronniers tout verts, pleins de vie, pleins de sève, voir enfin quelque chose qui crée au lieu de voir quelque chose qui détruit!
Pense que de chaque côté des lignes, sur une largeur de un kilomètre, il ne reste pas un brin de verdure, mais une terre grise de poudre, sans cesse retournée par les obus: des blocs de pierre cassés, émiettés, des troncs déchiquetés, des débris de maçonnerie qui laissent supposer qu’il y a eu là une construction, qu’il y a eu des «hommes»... Je croyais avoir tout vu à Neuville. Eh bien non,