La religion implique t-elle une démission de la raison
Le moi pour autrui : la personne et ses masques sociaux
Pascal commence par dissocier l'unité du je en deux versants : notre moi «véritable» (nous, tels que nous savons que nous sommes réellement pour notre conscience intérieure) et le moi «imaginaire» (nous, tels que nous donnons l'illusion d'être à des consciences extérieures). Pour éclairer cette distinction, on peut penser à la différence du moi privé et du moi social. Dans la suite du texte, Pascal va décrire un véritable processus d'aliénation : nous préférons travailler à donner aux autres l'apparence de qualités déterminées, plutôt que de les développer effectivement en nous (à la limite, surenchérit Pascal, pour livrer aux autres l'impression d'une qualité donnée, nous serions prêts à cultiver en nous son contraire). On voit bien qu'ici de cette exigence active de reconnaissance, on ne conclut pas à une détermination plus riche de la conscience de soi, mais au contraire à un appauvrissement: dans cette quête d'une reconnaissance de l'autre, le moi disloque son unité et fait l'aveu de son «néant». Ce souci de paraître quelque chose quand on n'est rien, c'est l'orgueil.
Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être: nous voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et conserver notre être imaginaire, et négligeons le véritable. Et si nous avons ou la tranquillité, ou la générosité, ou la fidélité, nous nous empressons de le faire savoir, afin d'attacher ces vertus-là à notre autre être, et les détacherions plutôt de nous pour les joindre à l'autre; et nous serions de bon coeur poltrons pour en acquérir la réputation d'être vaillants. Grande marque du néant de notre propre être, de n'être pas satisfait de l'un sans l'autre, et d'échanger souvent l'un pour l'autre ! Car qui ne mourrait pour conserver son honneur, celui-là serait infâme.