La poesie
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. Ces déplorations n’appartiennent qu’à l’univers poétique, car les
Touaregs sont bien plus discrets dans l’expression de leurs peines. Pourtant, à en juger par leurs exclamations apitoyées, les auditeurs semblent parfois penser que c’est le poète luimême qui s’exprime par la voix du narrateur. Bien sûr, ils n’ignorent pas que ce narrateur indéfiniment éploré est seulement un être fictif, chargé poème après poème de dire des peines dont, en général, peu leur importe que l’auteur les ait réellement éprouvées ou non ; mais ils l’oublient parfois quand des vers les émeuvent particulièrement, comme si, l’espace d’un instant, la beauté de ce qu’ils entendent brouillait leur jugement. Je crois cependant qu’ils ne s’égareraient pas ainsi s’ils étaient en présence de l’auteur. Un grand poète, tels ceux justement dont l’œuvre est susceptible de susciter la compassion des auditeurs, récite rarement ses compositions en public. C’est là une tâche qu’il laisse à ses rhapsodes. Ainsi transmises, elles finissent par être entendues fort loin de son lieu de résidence et parfois après sa mort.
Les cercles dans lesquels on les entend sont si larges que seuls quelques auditeurs en connaissent l’auteur ; pour tous les autres, il n’est qu’un nom. Comment, alors, ne pas lui attribuer une souffrance parcourant des vers qui sont tout, hormis son nom, ce qu’on connaît de lui ? Le contenu des poèmes touaregs, ou du moins la perception qu’en a le public, ne serait donc pas sans relation avec les modalités de leur production et de leur