LE LIÈVRE ET LA TORTUE Rien ne sert de courir ; il faut partir à point. Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage. Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point Si tôt que moi ce but. Si tôt ? Êtes-vous sage ?(1) Repartit l'Animal léger.(2) Ma Commère, il vous faut purger Avec quatre grains (3) d'ellébore. Sage ou non, je parie encore. Ainsi fut fait : et de tous deux On mit près du but les enjeux. Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire ; Ni de quel juge l'on convint. (4) Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire ; J'entends de ceux qu'il fait lorsque prêt d'être atteint Il s'éloigne des Chiens, les renvoie aux calendes, (5) Et leur fait arpenter les landes. Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter, Pour dormir, et pour écouter D'où vient le vent, il laisse la Tortue Aller son train de Sénateur. (6) Elle part, elle s'évertue ; Elle se hâte avec lenteur. Lui cependant méprise une telle victoire ; Tient la gageure (7) à peu de gloire ; Croit qu'il y va de son honneur De partir tard. Il broute, il se repose, Il s'amuse à toute autre chose Qu'à la gageure. À la fin, quand il vit Que l'autre touchait presque au bout de la carrière, (8) Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit Furent vains : la Tortue arriva la première. Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ? (9) De quoi vous sert votre vitesse ? Moi l'emporter ! et que serait-ce Si vous portiez une maison ?