La leçon? ionesco
Au bout d’un corridor fermé de vitres en losange,
On voit un torrent de soleil qui roule entre des branches
Et se pulvérise à travers les feuilles d’un jardin,
Avec des éclats palpitants au milieu du pavage
Et des gouttes d’or — en suspens aux rayons d’un vélo.
C’est un grand vélo noir, de proportions parfaites,
Qui touche à peine au mur. Il a la grâce d’une bête
En éveil dans sa fixité calme : c’est un oiseau.
La rue est vide. Le jardin continue en silence
De déverser à flots ce feu vert et doré qui danse
Pieds nus, à petits pas légers sur le froid du carreau.
Parfois un chien aboie ainsi qu’aux abords d’un village.
On pense à des murs écroulés, à des bois, des étangs.
La bicyclette vibre alors, on dirait qu’elle entend.
Et voudrait-on s’en emparer, puisque rien ne l’entrave,
On devine qu’avant d’avoir effleuré le guidon
Éblouissant, on la verrait s’enlever d’un seul bond
À travers le vitrage à demi noyé qui chancelle,
Et lancer dans le feu du soir les grappes d’étincelles
Qui font à présent de ses roues deux astres en fusion.
Jacques Réda, Retour au calme
Introduction :
Ce poème de Jacques Réda, extrait de son recueil Retour au calme, marque par le titre même du recueil la rupture nécessaire avec l’agitation quotidienne. Le poème intitulé La bicyclette impose précisément un changement de rythme qui permet l’observation attentive de la métamorphose opérée par la lumière du soir sur le vélo. Cette mutation spectaculaire s’effectue cependant dans une atmosphère sereine et harmonieuse.
I) La métamorphose d’un objet quotidien :
Réda opère dans son texte la transfiguration d’un objet technique appartenant au domaine du sport ou à l’univers de l’enfance. Le cadre spatio-temporel évoque l’endormissement d’un village une fin de semaine : les repères chronologiques et les indicateurs de lieu du vers 1, comme le participe présent