La notion de justice désigne à la fois la conformité de la rétribution avec le mérite et le respect de ce qui est conforme au droit. Cette notion est donc indissociablement morale et juridique. Il serait possible de penser que l’un de ces deux aspects prime sur l’autre et le détermine. N’existe-t-il pas en chacun de nous un « sens de la justice » qui nous rend apte à évaluer et juger les décisions et actions, ce sens de la justice étant alors l’origine de la loi et du droit ? Cela est possible, mais on ne peut cependant manquer de constater la diversité des pratiques de justice d’une région ou d’un pays à l’autre. Pascal écrivait : « Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Nous sommes indignés lorsque nous voyons nos « voisins » porter de graves atteintes à la justice et cela en toute légalité (pensons par exemple à l’apartheid en Afrique du Sud) et, inversement, ceux-ci peuvent condamner nos propres injustices. En ce sens, le passage de la justice du plan moral au plan juridique se caractériserait par son imperfection, par ses insuffisances. Mais cela ne signifie-t-il pas que la justice n’est pas une réalité donnée mais un idéal qui se conquière patiemment et par la médiation des pratiques juridiques et politiques ? Il est sans doute nécessaire de maintenir l’opposition du moral et du juridique, de la légitimité et de la légalité, opposition sans laquelle la justice risquerait d’être réduite aux conventions, livrée aux caprices des puissants ; mais opposition ne signifie pas exclusion ou indifférence ; ce sont les relations (conflictuelles) de la morale et du droit qu’il s’agit de penser. Nous allons présenter dans ce cours différentes conceptions philosophiques de la justice, de l’Antiquité grecque jusqu’au 20ème siècle et verrons notamment que l’opposition que nous avons établie ci-dessus n’est pas une donnée intemporelle mais le résultat d’une longue histoire (nous développerons plus spécifiquement dans le cours suivant la question du droit).