5. LA RHETORIQUE
L'enjeu de la controverse, c’est donc, apparemment, d’énoncer une loi de la naturepour fonder une loi de la société. En fait, il ne s'agit pas simplement d'établir et de manifester la vérité, mais de la faire admettre, faire admettre un regard sur l’Autre sans préjugé, haine ou calcul, à l’encontre des intérêts qui commandent un tel regard. L’enjeu est plus complexe, plus politique et donc plus soumis à des tentatives de falsification. C’est une vérité sous pression, une vérité qui ne peut se dire dans la sérénité, un engagement.
Mais ce ne sont pas les colons ni Sépulvéda qu’il faut convaincre ; c’est le légat du
Pape, arbitre redoutable peut-être ouvert à certains arguments, ou capable de discerner le vrai du faux, le désintéressé de l’intéressé. C’est pourquoi il faut trouver les mots qui conviennent dans le code complexe de la rhétorique d’usage, les mots qui permettront de trancher, non pas en fonction de la vérité mais des règles du duel oratoire. Sépulvéda commence l'attaque en discréditant son adversaire par des allusions personnelles plus ou moins fondées. "Depuis le début, au contraire des musulmans, ces nouvelles peuplades vous ont fasciné et pourrait-on dire séduit. Pourquoi? Je ne sais pas. Mais on voit bien que vous parlez avec excès
14
". Cette technique doit insinuer le doute chez le juge. Sépulvéda assène alors ses propres arguments, ceux de la guerre sainte : "Le Christ aime ce combat ! Il aime cette conquête ! Sinon, croyezvous qu’il aurait permis ce nouveau massacre des innocents?
15
" Mais il finit par s'embrouiller : "Éminence, je retiendrai d’abord ce point-là : le salut de l’âme. – Vous supposez donc qu’ils en ont une?
16
" demande le légat. Cette question renverse aussitôt la situation. Et plus tard, lorsque Sépulvéda évoquera les sacrifices humains des Indiens il s'entendra répondre : "On ne peut leur reprocher des sacrifices humains que s'ils sont humains. 17
"
Aussi l'humanité encore