La civilisation ma mère
Avec Le Passé Simple, Driss Chraïbi a fait main basse sur la société marocaine en attaquant sans réserve sa famille, son milieu, sa religion et toutes les valeurs auxquelles cette première se rattache, au moment même où celle-ci luttait pour son indépendance. C’est dans une atmosphère d’animosité et de vif scandale que son premier roman fut accueilli. La haine violente exprimée à travers le récit d’un fils prêt à tuer son père s’épanchera alors sur le monde oriental entier, symbole d’oppression et d’enfermement. Notre auteur ira même jusqu’à lancer des accusations profondes à l’encontre de l’Islam qui, perverti par les hommes, envahit chaque individu au plus profond de son être. Afin de mettre en avant le malaise intolérable qui règne dans son pays, il n’hésite pas à décrire la vie d’un jeune acculturé habité par une rage destructive à l’encontre de sa propre culture. C’est avec lucidité et véracité que l’auteur a dénoncé l’intrusion du religieux dans la sphère privée. Le père lui-même représente une entité intouchable et personne ne peut échapper à cette sacralisation de la société. La voix chraïbienne, tout en imitant la langue sacrée, désacralise celle-ci de façon frontale. Il se trouve ainsi dans un entre-deux : certes, il renie le sacré, ainsi qu’un certain Islam « historique », instrumentalisé par la langue de bois de l’époque, mais il croit en l’Islam primitif, celui de l’amour. Chraïbi, ayant subi l’acculturation, connaît le sentiment d’une déchirure et, arrivé à Paris, il prend conscience de son mal-être. Il est meurtri par une blessure profonde et c’est dans la souffrance de cette plaie toujours ouverte qu’il écrit, puisque cette dernière devient précisément une condition de l’écriture. Le Passé Simple représente un exutoire où il livre aux lecteurs ses désirs, ses déceptions et la réalité de son monde. Dans ce roman déroutant mais si fort en émotion, l’auteur n’hésite pas à mettre en scène le sacré, qui représente pourtant une entité