Ce roman emprunte à la tradition marocaine une forme proche du conte, jouant sur tous les registres de l’oralité, jusqu’à inclure une saynète (pp. 115-123). L’usage de la métaphore et de la comparaison y confinent à la virtuosité ; le récit en grouille, et il arrive qu’une métaphore se substitue à l’objet représenté, par exemple à la p. 128, la voix du père est « comme la voix du caoutchouc », et à la page suivante, « Le caoutchouc s’était transformé en gomme arabique ». Comme le titre l’indique, il s’agit d’une parabole, et la Mère est aussi bien la Civilisation entière que les femmes marocaines. Une réflexion sur la différence entre « acculturation » et « intégration » (tarte à la crème à la mode), à travers l’œuvre de Driss Chraïbi, serait enrichissante (ce roman, mais aussi La Mère du printemps). La revue Souffles dans son numéro 5, (premier trimestre 1967) avait publié une entrevue avec Driss Chraïbi, qui déclarait notamment : « Mais dites-moi : la femme, où qu’elle soit, n’est-elle pas le dernier colonisé de la terre ? ». Pour appuyer sa démonstration, l’auteur va jusqu’à faire rencontrer « Tougoul », c’est-à-dire De Gaulle, à la Mère : « De Gaulle ? m’a-t-elle dit, pensive. C’est étrange. J’ai cru voir ton père. » (p. 125). Tous les aspects sont traités, y compris la sexualité : « Je lui appris son corps. […] Tabous, pudeurs, hontes, je les mettais à bas, voile après voile, en lui parlant de Dieu en qui elle croyait de toute sa sincérité : Dieu n’avait pas pu créer des corps et des organes dont on aurait honte, n’est-ce pas ? […] À trente-cinq ans, elle comprit enfin pourquoi et comment elle avait des menstrues. Jusqu’alors, elle était persuadée qu’elle avait une maladie « personnelle » dont il ne fallait parler à personne, pas même à son époux » (p. 90). La scène centrale de la sortie au cinéma donne sans doute la clé de lecture [3], qui peut valoir aussi pour ce roman, espérons-le, pour certains de nos élèves : « Par cette vanne, par torrents, tout entrait