, La chartreuse de parme, livre l, chapitre 1
[L'extrait suivant se situe au début du roman. Celui-ci évoque l'entrée de Napoléon Bonaparte à Milan en mai 1796, mettant fin à la domination de l'Autriche sur l'Italie. Des officiers français sont logés chez de riches Milanais, et notamment chez le marquis deI Dongo, partisan des Autrichiens. Les Français ne seront chassés qu'en 1799.]
Nous avouerons que, suivant l'exemple de beaucoup de graves auteurs, nous avons commencé l'histoire de notre héros une année avant sa naissance. Ce personnage essentiel n'est autre, en effet, que Fabrice Valserra, marchesino 1 Del Dongo, comme on dit à Milan. Il venait justement de se donner la peine de naître lorsque les Français furent chassés, et se trouvait, par le hasard de la naissance, le second fils de ce marquis Del Dongo si grand seigneur, et dont vous connaissez déjà le gros visage blême, le sourire faux et la haine sans bornes pour les idées nouvelles. Toute la fortune de la maison était substituée au fils aîné Ascagnio Del Dongo, le digne portrait de son père. Il avait huit ans, et Fabrice deux, lorsque, tout à coup, ce général Bonaparte, que tous les gens bien nés croyaient pendu depuis longtemps, descendit du mont Saint-Bernard. Il entra dans Milan : ce moment est encore unique dans l'histoire; figurez-vous tout un peuple amoureux fou. Peu de jours après, Napoléon gagna la bataille de Marengo. Le reste est inutile à dire. [ ... ] Peu de jours après la victoire, le général français, chargé de maintenir la tranquillité dans la Lombardie, s'aperçut que tous les fermiers des nobles, que toutes les vieilles femmes de la campagne, bien loin de songer encore à cette étonnante victoire de Marengo qui avait changé les destinées de l'Italie et reconquis treize places fortes en un jour, n'avaient l'âme occupée que d'une prophétie de saint Giovita, le premier patron de Brescia. Suivant cette parole sacrée, les prospérités des Français et de Napoléon