Ces « balances », ces oscillations signifient-elles que le poète ne choisit pas entre rêve et réalité ? Il semble pourtant qu’il se décide… Le réel apparaît comme l’espace de l’impossibilité et de l’entrave, non de la rencontre. « Devant l’apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des années, je deviendrais une ombre, sans doute » : paradoxalement, le face-à-face avec le possible dévitalise le poète. On retrouve ce paradoxe au §6 « et toi, la seule qui compte aujourd’hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venus ». Le réel n’est pas le domaine de l’essentiel : la femme est bien ce qui est le plus important (« la seule qui compte »), mais, pour cela même, le réel ne permet pas de l’atteindre. Il est en effet le domaine de l’insignifiant : le poète pourrait toucher « les premières lèvres et le premier front venus ». Le corps du poète, immergé dans le réel, n’est exposé qu’aux « apparences de la vie et de l’amour » : paradoxalement, c’est le réel et non le rêve qui est le pays des illusions, des simulacres et de l’inauthentique. Au contraire, le rêve permet de préserver l’essentiel, d’atteindre une union, de marcher, de parler et de coucher avec l’aimée, ce que le réel déceptif est incapable d’offrir. C’est pourquoi il semble bien qu’il existe un point de non retour dans le rêve, comme l’indique cette phrase « J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute que je m’éveille ». A partir d’un certain point, quand on est allé très loin dans le domaine de l’onirique, le retour au réel s’avère tout bonnement impossible. C’est pourquoi le poème s’achève sur une sorte de mort au monde, d’immersion dans l’irréel : « être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie ». Cette dernière métaphore, bien dans le goût des surréalistes, peut désigner le temps : en devenant impalpable, en fusionnant