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Commémorer est devenu une posture médiatique. La machine à remonter le temps est la nouvelle arme absolue de toutes les rédactions. La France a ainsi réussi le prodige culturel de davantage célébrer les vingt ans de la chute du mur de Berlin que nos amis allemands. On appréhende déjà l’année prochaine et le dixième anniversaire des attentats du 11 septembre. Combien de fois allons-nous subir les effrayantes images de ces deux avions venant éventrer les deux tours jumelles du bas de Manhattan ? Combien de fois encore va-t-on faire tourner l’horreur ou la compassion en boucle et en haute définition pour satisfaire à ce voyeurisme à l’envers ?
Cette façon d’abuser d’hier pour assurer un quotidien d’émotions fortes est la dernière facette de la spirale sensationnaliste des marchands d’Audimat. Mais son effet est ravageur. Le nécessaire devoir de mémoire a été aspiré par le souffle court de cette succession de bougies que l’on allume à tout bout de champ. A célébrer pour un oui ou pour un non l’anniversaire d’événements spectaculaires avant d’être vraiment historiques, on a fini par brouiller le calendrier de l’histoire. Et à se débattre derrière les barreaux virtuels d’une étouffante contradiction. On se sert du rétroviseur de l’existence à la moindre occasion alors que l’amnésie est un art de vivre. La société de consommation à outrance a tout uniformisé, nos goûts, nos modes et nos pensées. Au point de nous en avoir fait oublier l’originalité, la diversité et l’authenticité. Mais si le passé s’est aussi vite élevé au rang de valeur refuge, l’avenir lui a considérablement facilité la tâche et efficacement déblayé le terrain. La crise économique a fait grimper de 25% le nombre de demandeurs d’emploi et 60% des Français craignent de devenir un jour SDF. Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Eric Maurin, a fait de cette insécurité sociale le thème essentiel de son ouvrage intitulé « La peur du