Corneille, Horace, Acte III, Scène 1 Sabine Fortune, quelques maux que ta rigueur m'envoie, J'ai trouvé les moyens d'en tirer de la joie, Et puis voir aujourd'hui le combat sans terreur, Les morts sans désespoir, les vainqueurs sans horreur. Flatteuse illusion, erreur douce et grossière, Vain effort de mon âme, impuissante lumière, De qui le faux brillant prend droit de m'éblouir, Que tu sais peu durer, et tôt t'évanouir ! Pareille à ces éclairs qui dans le fort des ombres Poussent un jour qui fuit et rend les nuits plus sombres, Tu n'as frappé mes yeux d'un moment de clarté Que pour les abîmer2 dans plus d'obscurité. Tu charmais trop ma peine, et le ciel, qui s'en fâche, Me vend déjà bien cher ce moment de relâche. Je sens mon triste coeur percé de tous les coups Qui m'ôtent maintenant un frère ou mon époux. Quand je songe à leur mort, quoi que je me propose, Je songe par quels bras, et non pour quelle cause, Et ne vois les vainqueurs en leur illustre rang Que pour considérer aux dépens de quel sang. La maison des vaincus touche seule mon âme : En l'une je suis fille, en l'autre je suis femme, Et tiens à toutes deux par de si forts liens, Qu'on ne peut triompher que par la mort des miens. C'est là donc cette paix que j'ai tant souhaitée ! Trop favorables dieux, vous m'avez écoutée ! Quels foudres lancez-vous quand vous vous irritez, Si même vos faveurs ont tant de cruautés ? Et de quelle façon punissez-vous l'offense, Si vus traitez ainsi les voeux de l'innocence ? 1: à rien d'autre qu'à 2 :