Happy meal
5 « D’accord, me dit-elle, mais on va au McDonald.» Elle n'attend pas que je bougonne. « Ça fait si longtemps... ajoute-t-elle en posant son livre près d'elle, si longtemps... »
Elle exagère, ça fait moins de deux mois. Je sais compter.
Mais bon. Cette jeune personne aime les nuggets et la sauce barbecue, qu'y puis-je ?
Si on reste ensemble assez longtemps, je lui apprendrai autre chose. Je lui apprendrai la sauce gribiche et les crêpes Suzette1 10 par exemple. Si on reste ensemble assez longtemps, je lui apprendrai que les garçons des grandes brasseries n'ont pas le droit de toucher nos serviettes, qu'ils les font glisser en soulevant la première assiette. Elle sera bien étonnée.
Il y a tellement de choses que je voudrais lui montrer...
Tellement de choses. Mais je ne dis rien. Je prends mon pardessus en silence. Je sais comment sont les filles
15 avec l'avenir: juste prometteuses. Je préfère l'emmener dans ce putain de McDo et la rendre heureuse un jour après l'autre.
Dans la rue, je la complimente sur ses chaussures. Elle s'en offusque : « Ne me dis pas que tu ne les avais jamais vues, je les ai depuis Noël !» Je pique du nez, elle me sourit, alors je la complimente sur ses chaussettes.
Elle me dit que je suis bête. Tu penses si je le savais.
20 J'éprouve un haut-le-cœur en poussant la porte. D'une fois sur l'autre, j'oublie à quel point je hais les
McDonald. Cette odeur : graillon, laideur et vulgarité mélangés. Pourquoi les serveuses se laissent-elles ainsi enlaidir ? Pourquoi porter cette visière insensée ? Pourquoi les gens font-ils la queue ? Pourquoi cette musique d'ambiance ? Et pour quelle ambiance ? Je trépigne2
, les gens devant nous sont en survêtement.