Il dispensait son temps de telle façon que, ordinairement il s’éveillait entre huit et neuf heures, qu’il fit jour ou non ; ainsi l’avaient ordonné ses professeurs en théologique. Puis se gambadait, piaffait et se roulait sur son lit quelques instants pour mieux amuser ses esprits ; ensuite il s’habillait d’après la saison, mais de préférence il endossait une grande et longue robe de grosse frise fourrée de renards ; il se peignait ensuite du peigne d’Almain, c’est à dire avec les quatre doigts et le pouce, car ses précepteurs disaient que c’était perdre son temps en ce monde que se, laver, se peigner et autrement se nettoyer. Après quoi il fientait, pissait, rendait sa gorge, rotait, pétait, baillait, crachait, toussait, sanglotait, éternuait et se morvait tel un archidiacre. Pour vaincre la rosée et mauvais air, il déjeunait ensuite de belles tripes frites, de succulentes tranches de bœuf grillées sur des charbons, de délicieux jambons, de savoureuses grillades de chevreaux et de force soupes de primeurs.
Ponocrates lui remontait qu’il ne devrait pas, sans avoir fait quelque exercice, prendre nourriture aussitôt le saut du lit.
Gargantua répondait :
« Quoi ! n’ai-je point pris un exercice suffisant ? Je me suis vautré six ou sept fois sur le lit avant de me lever. N’est-ce point assez ? Sur le conseil de son médecin juif, le pape Alexandre faisait de même, et jusqu’à la mort il vécut en dépit des envieux. Mes premiers maîtres m’y ont accoutumé, me disant que le déjeuner rendait la mémoire bonne ; aussi buvaient ils les premiers. Je m’en trouve fort bien et n’en dîne que mieux. Et Maître Tubal, qui fut le premier de sa licence à Paris, ne me disait il pas qu’il est préférable de partir de bonne heure que de courir ensuite ? Aussi l’humanité doit elle son salut à boire matin, et non à tas, à tas, comme des canes :
Lever matin n’est point bonheur.
Boire matin est le meilleur.
Après avoir ainsi bien déjeuné, Gargantua allait à