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1. Voltaire, Mélanges, pamphlets et œuvres polémiques, « Femmes, soyez soumises à vos maris », 1759/1768.
L’abbé de Châteauneuf me contait un jour que Mme la maréchale de Grancey était fort impérieuse; elle avait d’ailleurs de très grandes qualités. Sa plus grande fierté consistait à se respecter soi-même, à ne rien faire dont elle pût rougir en secret; elle ne s’abaissa jamais à dire un mensonge: elle aimait mieux avouer une vérité dangereuse que d’user d’une dissimulation utile; elle disait que la dissimulation marque toujours de la timidité. Mille actions généreuses signalèrent sa vie; mais quand on l’en louait, elle se croyait méprisée; elle disait: « Vous pensez donc que ces actions m’ont coûté des efforts? » Ses amants l’adoraient, ses amis la chérissaient, et son mari la respectait.
Elle passa quarante années dans cette dissipation, et dans ce cercle d’amusements qui occupent sérieusement les femmes; n’ayant jamais rien lu que les lettres qu’on lui écrivait, n’ayant jamais mis dans sa tête que les nouvelles du jour, les ridicules de son prochain, et les intérêts de son coeur. Enfin, quand elle se vit à cet âge où l’on dit que les belles femmes qui ont de l’esprit passent d’un trône à l’autre, elle voulut lire. Elle commença par les tragédies de Racine, et fut étonnée de sentir en les lisant encore plus de plaisir qu’elle n’en avait éprouvé à la représentation: le bon goût qui se déployait en elle lui faisait discerner que cet homme ne disait jamais que des choses vraies et intéressantes, qu’elles étaient toutes à leur place; qu’il était simple et noble, sans déclamation, sans rien de forcé, sans courir après l’esprit; que ses intrigues, ainsi que ses pensées, étaient toutes fondées sur la nature: elle retrouvait dans cette lecture l’histoire de ses sentiments, et le tableau de sa vie.
On lui fit lire Montaigne: elle fut charmée d’un homme qui faisait conversation avec elle, et qui doutait de tout. Ou lui donna