Francais
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Ce n’étaient pas encore les Allemands qui arrivaient mais UN Allemand : le premier. Tout le village, derrière les portes fermées, par l’entrebâillement des persiennes demi-closes ou à la lucarne d'un grenier, le regardait venir. Il arrêta sa motocyclette sur la place déserte ; ses mains étaient gantées ; il portait un uniforme vert, un casque sous la visière duquel on aperçut, lorsqu’il leva la tête, un visage rose, maigre, presque enfantin. « Il est tout jeune ! » murmurèrent les femmes. Sans bien s’en rendre compte, elles étaient prêtes à quelques visions de l’Apocalypse1, à quelque monstre étrange et effrayant. Il regardait autour de lui et cherchait quelqu’un. Alors le buraliste2, qui avait fait la guerre de 14 et portait la croix de guerre et la médaille militaire au revers de son vieux veston gris, sortit de sa boutique et s’avança vers l’ennemi. Un moment, les deux hommes restèrent immobiles, face à face, sans parler. Puis l’Allemand montra sa cigarette et demanda du feu en mauvais français. Le buraliste répondit en mauvais allemand car il avait fait l’occupation en 18, à Mayence. Le silence était tel (tout le village retenait son souffle) qu’on entendait chacune de leurs paroles. L’Allemand demanda son chemin. Le Français répondit, puis s’enhardissant : - Est-ce que l’armistice3 est signé ? L’Allemand écarta les bras. - Nous ne savons pas encore. Nous l’espérons, dit-il. Et la résonance humaine de cette parole, ce geste, tout ce qui prouvait jusqu’à l’évidence que l’on avait affaire non à quelque monstre altéré4 de sang mais à un soldat comme les autres, cela brisa tout à coup la glace entre le village et l’ennemi, entre le paysan et l’envahisseur. - Il n’a pas l’air méchant, chuchotèrent les femmes. Il porta la main à son casque, mais