Flaubert - Hérodias - danse de Salomé
Mais il arriva du fond de la salle un bourdonnement de surprise et d’admiration. Une jeune fille venait d’entrer. Sous un voile bleuâtre lui cachant la poitrine et la tête, on distinguait [ les arcs de ses yeux, les calcédoines de ses oreilles, la blancheur de sa peau ]. Un carré de soie gorge-de-pigeon, en couvrant les épaules, tenait aux reins par une ceinture d’orfèvrerie. Ses caleçons noirs étaient semés de mandragores et d’une manière indolente, elle faisait claquer de petites pantoufles en duvet de colibri. Sur le haut de l’estrade, elle retira son voile. C’était Hérodias, comme autrefois dans sa jeunesse. Puis, elle se mit à danser. Ses pieds passaient l’un devant l’autre, au rythme de la flûte et d’une paire de crotales. Ses bras arrondis appelaient quelqu’un, qui s’enfuyait toujours. Elle le poursuivait, plus légère qu’un papillon, comme une Psyché curieuse, comme une âme vagabonde, et semblait prête à s’envoler. Les sons funèbres de la gingras remplacèrent les crotales. L’accablement avait suivi l’espoir. Ses attitudes exprimaient des soupirs, et toute sa personne une telle langueur (1) qu’on ne savait pas si elle pleurait un dieu, ou se mourait dans sa caresse. Les paupières entre-closes, elle se tordait la taille, balançait son ventre avec des ondulations de houle, faisait trembler ses deux seins, et son visage demeurait immobile, et ses pieds n’arrêtaient pas. (...) Puis, ce fut l’emportement de l’amour qui veut être assouvi (2). Elle dansa [comme les prêtresses des Indes, comme les Nubiennes des Cataractes, comme les Bacchantes de Lydie (3)]. Elle se renversait de tous les côtés, pareille à une fleur que la tempête agite. Les brillants de ses oreilles sautaient, l’étoffe de son dos chatoyait ; de ses bras, de ses pieds, de ses vêtements jaillissaient d’invisibles étincelles qui enflammaient les hommes. Une harpe chanta; la multitude y répondit par des acclamations. Sans fléchir ses genoux