Extraits Kaufmann Trame et Ego
VII. Le capital de manières
VII.1.Le passé et le présent des manières
L'individu est en grande partie constitué par ses habitudes. Lentement, profondément, les manières de faire se sédimentent, mémorisées dans la conscience, les interactions, les automatismes acquis. Ainsi se forme peu à peu un capital de savoirs, de techniques, de compétences. Et d'idées, sur ce que l'on est soi-même, sur ce qu'est le monde, disant comment agir. Le processus n'est cependant pas parfaitement cumulatif et sans contradictions. Nous avons vu, par exemple, que la transmission féminine pouvait prendre le chemin complexe de la révolte de la fille contre sa mère. Le cadre général des habitudes de la famille d'origine peut se transmettre, mais pas toujours.
Les Archambaud ont assez fidèlement reproduit les modèles parentaux (« Ma mère n'aurait jamais toléré qu'on ait une chambre en désordre, alors que chez lui, on tirait la porte quoi ») cependant que les Brastignac ont accompli une double inversion ; elle du désordre maternel vers la volonté de rangement, lui d'un ordre extrême vers un certain laisser-aller. L'analyse de leur cas permet de comprendre quelques aspects de la complexité de la sédimentation des manières de faire. Prenons d'abord le cas de
Sabine. Sa mère était très désordonnée, « la dernière à voir la poussière », et l'éducation « officielle » qu'elle reçut fut marquée par ce rapport négligent à l'ordre.
Toutefois, très tôt dans l'enfance, le contexte d'idées dans lequel se formèrent ses premières habitudes ne fut pas celui-là mais son exact contraire, venu de la révolte contre la désinvolture ménagère : sous le regard approbateur de son père, elle s'efforça d'apprendre par elle-même. Romain illustre un schéma d'inversion différent.
Il ne s'était pas vraiment révolté contre les manières exigeantes de sa mère. Extérieur aux choses domestiques, il n'avait pas de conception bien arrêtée. Son problème n'était pas dans les idées mais