Extrait de l'amant
Le bateau, ensuite, très lentement, avec ses propres forces, s'engageait dans la rivière. Longtemps on voyait sa forma haute avancer vers la mer. Beaucoup de gens restaient là à le regarder, à faire des signes de plus en plus ralentis, de plus en plus découragés, avec leurs écharpes, leurs mouchoirs. Et puis, à la fin, la terre emportait la forme du bateau dans sa courbure. Par temps clair on le voyait lentement sombrer.
Elle aussi c’était lorsque le bateau avait lancé son premier adieu, quand on avait relevé la parcelle et que les remorqueurs avaient commencé à le tirer, à l’éloigner de la terre, qu’elle avait pleuré. Elle l’avait fait sans montrer ses larmes, parce qu’il était chinois et qu’on ne devait pas pleurer pour ce genre d’amants. Sans montrer à sa mère et à son petit frère qu’elle avait de la peine, sans montrer rien comme c’était l’habitude entre eux. Sa grande automobile était là, longue et noire, avec, à l’avant, le chauffeur en blanc. Elle était un peu à l’écart du parc à voiture des Messageries Maritimes, isolée. Elle l’avait reconnue à ces signes-là. C’était lui à l’arrière, cette forme à peine visible, qui ne faisait aucun mouvement, terrassée. Elle était accoudée au bastingage comme la première fois sur le bac. Elle savait qu’il la