Quoi qu'en disent les moralistes, l'entendement humain doit beaucoup aux passions, qui, d'un commun aveu, lui doivent beaucoup aussi. C'est par leur activité que notre raison se perfectionne; nous ne cherchons à connaître que parce que nous désirons jouir; et il n'est pas possible de concevoir pourquoi celui qui n'aurait ni désirs ni craintes se donnerait la peine de raisonner. Les passions à leur tour tirent leur origine de nos besoins et leur progrès de nos connaissances. Car on ne peut désirer ou craindre les choses que sur les idées qu'on en peut avoir, ou par la simple impulsion de la nature; et l'homme sauvage, privé de toute sorte de lumière, n'éprouve que les passions de cette dernière espèce. Ses désirs ne passent point ses besoins physiques; les seuls maux qu'il craigne sont la douleur et la faim. Je dis la douleur, et non la mort; car jamais l'animal ne saura ce que c'est que mourir; et la connaissance de la mort et de ses terreurs est une des premières acquisitions que l'homme ait faites en s'éloignant de la condition animale. "
Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
La tradition philosophique occidentale s'est montrée le plus souvent hostile aux passions, les accablant de tous les maux, notamment d'une irrationalité perverse et dangereuse, et nous gratifiant ainsi de textes plus critiques qu'analytiques à son égard. Rousseau ( 1712-1778 ) se demande au contraire si celles-ci ne nous sont pas bénéfiques et, en bon philosophe des Lumières attentif aux valeurs de la raison, il va même jusqu'à leur attribuer des vertus cognitives.
Dans un passage extrait du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Rousseau s'attache à mettre en évidence l'interaction bénéfique entre les passions et l'entendement humain, réhabilitant ainsi les passions.
Une étude attentive des réflexions de Rousseau nous permettra de voir en quoi et jusqu'à quel point sa pensée s'avère être