Etude du pathétique in voyage au bout de la nuit
Extrait étudié :
Au front, le colonel de Bardamu reçoit un message :
De le voir ainsi cet ignoble cavalier dans une tenue aussi peu réglementaire, et tout foirant d'émotion, ça le courrouçait fort, notre colonel. Il n'aimait pas cela du tout la peur. C'était évident. Et puis ce casque à la main surtout, comme un chapeau melon, achevait de faire joliment mal dans notre régiment d'attaque, un régiment qui s'élançait dans la guerre. Il avait l'air de la saluer lui, ce cavalier à pied, la guerre, en entrant.
Sous ce regard d'opprobre, le messager vacillant se remit au « garde‑à‑vous », les petits doigts sur la couture du pantalon, comme il se doit dans ces cas‑là. Il oscillait ainsi, raidi, sur le talus, la transpiration lui coulant le long de la jugulaire, et ses mâchoires tremblaient si fort qu'il en poussait des petits cris avortés, tel un petit chien qui rêve. On ne pouvait démêler s'il voulait nous parler ou bien s'il pleurait.
Nos Allemands accroupis au fin bout de la route venaient justement de changer d'instrument. C'est à la mitrailleuse qu'ils poursuivaient à présent leurs sottises ; ils en craquaient comme de gros paquets d'allumettes et tout autour de nous venaient voler des essaims de balles rageuses, pointilleuses comme des guêpes.
L'homme arriva tout de même à sortir de sa bouche quelque chose d'articulé :
‑ Le maréchal des logis Barousse vient d'être tué, mon colonel, qu'il dit tout d'un trait.
‑ Et alors ? ‑ Il a été tué en allant chercher le fourgon à pain sur la route des Etrapes, mon colonel ! ‑ Et alors ?
‑ II a été éclaté par un obus !
‑ Et alors, nom de Dieu !
‑ Et voilà ! Mon colonel…
‑ C'est tout?
‑ Oui, c'est tout, mon colonel.
‑ Et le pain ? demanda le colonel.
Ce fut la fin de ce dialogue parce que je me souviens bien qu'il a eu le temps de dire tout juste : « Et le pain ? » Et puis ce fut tout. Après ça, rien que du feu et puis du bruit avec. Mais alors un de ces