Enfance
Enfance (ch 30 p 120 à 122 Edition Folio)
C'est alors que la brave femme qui achevait mon déménagement s'est arrêtée devant moi, j'étais assis sur mon lit dans ma nouvelle chambre, elle m'a regardé d'un air de grande pitié et a dit : "quel malheur quand même de ne pas avoir de mère." "Quel malheur !"... le mot frappe, c'est bien le cas de le dire, de plein fouet. Des lanières qui s'enroulent autour de moi, m'enserrent... Alors c'est ça, cette chose terrible, la plus terrible qui soit, qui se révélait au dehors par des visages bouffis de larmes, des voiles noirs, des gémissements de désespoir... le "malheur" qui ne m'avait jamais approché, jamais effleuré, s'est abattu sur moi. Cette femme le voit. Je suis dedans. Dans le malheur. Comme tous ceux qui n'ont pas de mère. Je n'en ai donc pas. C'est évident, je n'ai pas de mère. Mais comment est-ce possible ? Comment ça a pu m'arriver, à moi ? Ce qui avait fait couler mes larmes que maman effaçait d'un geste calme, en disant "il ne faut pas..." aurait-elle pu le dire si ç'avait été "le malheur ?" Je sors d'une cassette en bois peint les lettres que maman m'envoie, elles sont parsemées de mots tendres, elle y évoque "notre amour", "notre séparation", il est évident que nous ne sommes pas séparées pour de bon, pas pour toujours... Et c'est ça un malheur ? Mes parents, qui savent mieux, seraient stupéfaits s'ils entendaient ce mot... papa serait agacé, fâché... il déteste ces grands mots. Et maman dirait : oui, un malheur quand on s'aime comme nous nous aimons... mais pas un vrai malheur... notre "triste séparation", comme elle l'appelle, ne durera pas... Un malheur, tout ça ? Non, c'est impossible. Mais pourtant, cette femme si ferme, si solide, le voit. Elle voit le malheur sur moi, comme elle voit "mes deux yeux sur ma figure". Personne d'autre ici ne le sait, ils ont tous autre chose à faire. Mais elle qui m'observe, elle l'a reconnu, c'est bien lui : le malheur qui