Emile livre 2 rousseau la peur
J'étais à la campagne, en pension chez M. Lambercier. J'avais pour camarade mon grand cousin Bernard, qui était singulièrement poltron, surtout la nuit. Je me moquai tant de sa frayeur, que M. Lambercier, ennuyé de mes vanteries, voulut mettre mon courage à l'épreuve.
Un soir d'automne qu'il faisait très obscur, il me donna la clef du temple et me dit d'aller chercher, dans la chaire, la Bible qu'on y avait laissée.
Je partis sans lumière... Il fallait passer par le cimetière ; je le traversai gaillardement...
En ouvrant la porte, j'entendis à la voûte un certain retentissement que je crus ressembler à des voix, et qui commença d'ébranler ma fermeté. La porte ouverte, je voulus entrer ; mais à peine eus-je fait quelques pas, que je m'arrêtai. En apercevant l'obscurité profonde qui régnait dans ce vaste lieu, je fus saisi d'une terreur qui me fit dresser les cheveux. Je rétrograde, je sors, je me mets à fuir tout tremblant. Je trouvai dans la cour un petit chien nommé Sultan dont les caresses me rassurèrent.
Honteux de ma frayeur, je revins sur mes pas, tâchant pourtant d'emmener avec moi Sultan, qui ne voulut pas me suivre. Je franchis brusquement la porte, j'entre dans l'église. A peine y fus-je entré que la frayeur me reprit, mais si fortement que je perdis la tête ; et, quoique la chaire fût à droite, et que je le susse très bien, ayant tourné sans m'en apercevoir, je la cherchai longtemps à gauche. Je m'embarrassai dans les bancs, je ne savais plus où j'étais. Enfin j'aperçois la porte, je viens à bout de sortir du temple, et je m'en éloigne comme la première fois, bien résolu de n'y jamais rentrer seul qu'en plein jour.
Je reviens jusqu'à la maison ; prêt à entrer, je distingue la voix de M. Lambercier à de grands éclats de rire ; je les prends pour moi d'avance.., j'hésite à ouvrir la porte. Dans cet intervalle, j'entends Mlle Lambercier s'inquiéter de moi, dire à la servante de prendre la lanterne, et M. Lambercier se