Eloge de l'hypocrisie
L’hypocrite comme tel n’a point honte de ce qu’il est, du jeu qu’il maitrise, de l’art qui l’anime. Quel homme n’envie pas l’eloquence de Dom Juan ou de Tartuffe, quel etre n’admire pas la maniere par laquelle le prestidigitateur se tire de tous les perils de la vie ?
Dans ce monde ou la tendance fait sa loi, les vices qui relevent des tendances se changent en atouts. Ainsi, l’hypocrisie est le plus beau de tous les instruments du langage et de la pensee. Pourquoi paraitre honnete si l’on est mauvais alors qu’il suffit de jouer l’hypocrite pour etre reconnu comme homme de bien ? C’est pourquoi l’hypocrisie confere de serieux privileges au sein des debats sophistiques, dans le monde de la finance cynique, dans les salons aristocratiques… La gourmandise, la jalousie, l’orgueil, l’avarice, la luxure ostentatoire, la paresse, peuvent etre deconsideres d’emblee mais l’hypocrisie, quant a elle, invisible aux yeux de l’opinion commune, vient lui oter froidement toute possibilite d’attaque. En somme, l’hypocrite s’en sort toujours. En portant le deguisement du plus honnete homme du monde, on peut s’epargner le mepris d’autrui, on est en droit de s’attirer l’estime des gens les mieux places, pour finalement devenir un erudit hypocrite, protege par sa position sociale : un financier se pretendant religieux peut legitimer toutes ses actions par le bouclier de la religion, l’hypocrisie lui donnant cette force. Nul besoin d’argent pour corrompre le beau monde et la hierarchie car il suffit de quelques mots bien agences et proprement avances pour seduire et rassurer, pour racheter les erreurs du passe et pour faire accuser ceux dont l’hypocrisie se moque en aparte.
Aussi l’hypocrisie est-elle une tanniere solide sous laquelle l’homme peut prosperer economiquement. On y cache, on y abrite, on y dissimule ce qui nous est cher de sorte qu’il devient aise de poursuivre ses affaires. Au demeurant, il suffit d’exprimer a voix basse ses veritable pensees,