Elle et lui *

[…]

Je m'assis devant le piano, et déclara à Octave que j'allais jouer du Stradella, bien qu'en vérité c'était un morceau de ma propre composition qu'il ne connaissait pas. Je commençai, et malgré ma concentration, j'observai qu'Octave souriait et avait l'air d'apprécier : mon plan marchait à merveille, il n'y voyait que du feu. Quand j'eus finis je m' écria : « Eh bien ! Vous vous y êtes trompé ; l'air est de moi, et je vous en ai fait accroire. » « il est de vous ? » s' exclama t-il. « Oui, et je vous ai conté qu'il était de Stradella pour voir ce que vous en diriez. » J' enchaina « Je ne joue jamais ma musique, quand il m'arrive d'en composer ; mais j'ai voulu faire un essai, et vous voyez qu'il m'a réussi puisque vous en étiez la dupe. »
Son étonnement me fit rire, et je m'attendais à ce qu'il s'en amuse, mais au lieu de cela son visage devint sombre et se ferma. « Qu'avez vous, qui vous prends ? » je m'enquis. « Rien ; jouez-moi cet air encore une fois. » répondit il. Je me remis à jouer, me demandant ce qui avait bien pu le prendre. Je le sentais marcher derrière moi, il était nerveux, et tournait en rond. Le simple fait que je ne lui avais pas dit la vérité sur une petite affaire pouvait le mettre dans cet état ? A la fin seulement, il s' exprima : « Vraiment ! Vous mentez si bien ? Quoi ! Cet air est de vous ? Vous savez donc mentir si aisément ? » Je le regarda, surprise, « Qu'est-ce donc ? » j' essayais de cacher, tant bien que mal, ce que je ressentais. Était-il fou ? Le devenait-il ? J'étais inquiète, et cependant je crus une seconde que c'était une plaisanterie, mais son visage, triste et perdu, m' ôta ce soupçon d’espoir, cette lumière que j'avais cru voir. Octave semblait déçu, comme si une fatalité c'était abattue sur lui, une réalité qui revenait inéxorablement, et à laquelle il ne pouvait échapper, tentant désespérément de s'en extirper, accumulant les échecs pourtant prévisibles. Je ne pouvais bouger, j'étais