Electre
Les mêmes, AGATHE poursuivie par le président.
LE PRÉSIDENT. Qui est-ce ? Qui aimes-tu ?
AGATHE.
Je te hais.
LE PRÉSIDENT.
Qui est-ce ?
AGATHE.
Je te dis que c’est fini. Fini le mensonge. Électre a raison. Je passe dans son camp. Merci, Électre ! Tu me donnes la vie !
LE PRÉSIDENT.
Que chante-t-elle ?
AGATHE.
La chanson des épouses. Tu vas la connaître.
LE PRÉSIDENT.
Elle va chanter, maintenant !
AGATHE.
Oui, nous sommes toutes là, avec nos maris insuffisants ou nos veuvages. Et toutes nous nous consumons à leur rendre la vie et la mort agréables. Et s’ils mangent de la laitue cuite il leur faut le sel et un sourire. Et s’ils fument, il nous faut allumer leur ignoble cigare avec la flamme de notre cœur !
LE PRÉSIDENT.
Pour qui parles-tu ? Tu m’as vu jamais manger de la laitue cuite ? AGATHE.
Ton oseille, si tu veux.
LE PRÉSIDENT.
Et il n’en mange pas d’oseille et il ne fume pas le cigare, ton amant ? AGATHE.
L’oseille mangée par mon amant devient une ambroisie, dont je lèche les restes. Et tout ce qui est souillé quand mon mari le touche sort purifié de ses mains ou de ses lèvres… Moi-même… Et Dieu sait !
ÉLECTRE.
J’ai trouvé, mère, j’ai trouvé !
LE PRÉSIDENT.
Reviens à toi, Agathe !
AGATHE.
Justement. J’y reviens. J’y suis enfin revenue !… Et vingt-quatre heures par jour, nous nous tuons, nous nous suicidons pour la satisfaction d’un être dont le mécontentement est notre seule joie, pour la présence d’un mari dont l’absence est notre seule volupté, pour la vanité du seul homme qui nous montre journellement ce qui nous humilie le plus au monde, ses orteils et la petite queue de son linge. Et voilà qu’il ose nous reprocher de lui dérober par semaine, une heure de cet enfer !… Mais alors, c’est vrai, il a raison ! Quand cette heure merveilleuse arrive, nous n’y allons pas de main morte !
LE PRÉSIDENT.
Voilà ton ouvrage. Électre. Ce matin encore, elle m’embrassait !
AGATHE.
Je suis jolie et il est laid. Je suis jeune