Douter, c'est d'abord être dans une incertitude telle qu'elle nous fait hésiter sur le parti à prendre ou l'opinion à adopter. Quand je doute, je ne sais que faire ni que penser, en sorte que mon jugement se trouve comme suspendu. Tout le temps que dure le doute en effet, ma volonté ne parvient pas à se décider : tant que je ne renonce à aucune des alternatives qui s'offrent à moi, c'est en fait à l'acte même de juger que je renonce. Car enfin, juger, c'est affirmer ou nier, ce qui implique que ma volonté sorte de l'embarras du choix, tranche et se décide. Mais c'est précisément lorsque je veux m'assurer de bien choisir, c'est-à-dire de ne pas me tromper, que le doute s'empare de moi et me paralyse : je retiens mon jugement tant que me font défaut les informations nécessaires ou les raisons me permettant de décider. En ce sens donc, celui qui doute redoute par-dessus tout l'erreur et aspire à être dans le vrai, et c'est précisément parce qu'il ignore ce qu'il en est, en vérité, qu'il se met à douter. Le doute alors, loin de nous faire renoncer à la vérité, serait au contraire un passage obligé pour celui qui, comme le disait Descartes, refuse de se décider « pour de faibles raisons ».
Cependant, lorsqu'un doute me saisit, je me trouve bien dans une situation telle que ce que je tenais pour vrai se trouve ébranlé ; il est alors possible que je doive y renoncer, c'est-à-dire accepter de m'en défaire. Mais renoncer à ce que je tenais pour vrai, est-ce renoncer à la vérité en elle-même ? Quand le doute s'installe en mon esprit, ne suis-je pas précisément en mesure de réformer ma pensée et de me défaire de mon erreur éventuelle, progressant ainsi vers la vérité ? C'est ici que le doute acquiert sa valeur proprement philosophique. D'une hésitation embarrassée dictée par la prudence, d'une incertitude subie qui attend de pouvoir se décider, le doute est en mesure de devenir non plus passif et indésirable, mais actif et volontaire, lorsque je décide d'examiner mes