Dissertation
LITTÉRATURE, THÉORIE, CUL-DE-SAC
Les rapports entre littérature et théorie sont changeants. C'est surtout au cours des années soixante-dix que la théorie a commencé de s'imposer dans les études littéraires, en relation avec l'ambition de fonder une science de la littérature qui aurait présenté les mêmes garanties de rigueur que la linguistique. D'ailleurs, à cette époque, la théorie littéraire coïncidait à peu près avec ce qu'on appelait la poétique et, grâce à Roland Barthes et à quelques autres, sur la lancée des travaux de Jakobson, de Benveniste et des formalistes russes, elle importait des notions telles que signifiant et signifié, énonciation, métalangage, etc. et les appliquait aux réalités littéraires.
Un peu plus tard, aux notions d'origine linguistique, on en a adjoint d'autres provenant des sciences humaines telles que la psychanalyse et, surtout, la sociologie, et on a constitué ainsi de nouveaux champs de recherche, telle la sémiotique. La théorie devint alors une science des formes du discours, applicable au discours littéraire, mais aussi à toute autre forme de discours. De par sa nature, la théorie ne peut chercher à rendre compte de la spé- cificité d'un langage, et c'est en cela qu'elle s'est développée en opposition avec la critique littéraire proprement dite, qui a pour visée essentielle la compréhension du singulier. 8
Au cours des années quatre-vingt, la théorie a pris du recul devant les tâches descriptives qu'elle se donnait à l'origine, et elle a cessé de s'inspirer d'abord et avant tout de la linguistique. C'est ainsi que le discours de
Lacan (qui, bien entendu, n'est pas étranger à la linguistique, mais on pourrait en dire autant de tout le discours des sciences humaines depuis les années soixante ; il y a tout de même une spécificité proprement psychanalytique de la pensée lacanienne) inspire directement certaines elaborations théoriques en rapport avec les textes. L'herméneutique de Ricœur