Dissert
– Mes peurs ?
– Oui.
– J’ai peur de l’oubli, a-t-il répondu sans attendre. J’en ai peur comme un aveugle que je connais a peur du noir.
– Futur aveugle, a précisé Isaac avec une ébauche de sourire.
– Je suis trop dur ? a demandé Augustus. C’est vrai qu’il m’arrive d’être aveugle aux sentiments des autres.
Isaac s’est bidonné, mais Patrick a levé un doigt réprobateur.
– Augustus, s’il te plaît. Revenons à toi et à ton combat. Tu as dit que tu avais peur de l’oubli ?
– C’est ça, a répondu Augustus.
Patrick était perdu.
– Quelqu’un aimerait rebondir là-dessus ?
Cela faisait trois ans que je ne fréquentais plus d’établissement scolaire. Mes parents étaient mes deux meilleurs amis, le troisième était un écrivain qui ne connaissait même pas mon existence. J’étais plutôt timide, pas du genre à lever la main. Et pourtant, pour une fois, j’ai décidé de m’exprimer. J’ai levé à demi la main, ce qui a rendu Patrick fou de joie.
– Hazel ! s’est-il aussitôt écrié.
Il devait croire que j’allais enfin parler à cœur ouvert, entrer vraiment dans le groupe. Je me suis tournée vers Augustus Waters, et il s’est tourné vers moi. Il avait des yeux d’un bleu translucide.
– Un jour viendra, ai-je dit, où nous serons tous morts. Tous. Un jour viendra où il ne restera plus aucun être humain pour se rappeler l’existence des hommes. Un jour viendra où il ne restera plus personne pour se souvenir d’Aristote ou de Cléopâtre, encore moins de toi. Tout ce qui a été fait, construit, écrit, pensé et découvert sera oublié, et tout ça, ai-je ajouté avec un geste large, n’aura servi à rien. Ce jour viendra bientôt ou dans des millions d’années. Quoi qu’il arrive, même si nous survivons à la fin du soleil, nous ne survivrons pas toujours. Du temps s’est écoulé avant que les organismes acquièrent une conscience et il s’en écoulera après. Alors si l’oubli inéluctable de l’humanité t’inquiète, je te conseille de ne pas y