Diderot - jacques le fataliste
Avec cette ouverture d'un roman atypique, on étudiera successivement deux thèmes antithétiques :
- d'une part la façon dont l'auteur s'y prend pour dénoncer l'illusion réaliste que veulent créer les romanciers ; on étudiera ainsi la façon dont Diderot s'amuse à démonter les mécanismes du récit, tout en en créant un, plus original ;
- d'autre part, on décèlera l'idée philosophique du fatalisme, grave au contraire, qui se profile derrière le cadre du récit.
Thème 1 ludique :
Les premières lignes, sous forme de questions adressées au narrateur concernant ses personnages, questions auxquelles il répond par des platitudes du type "Par hasard, comme tout le monde", "Du lieu le plus prochain" ou ne répond pas en répondant par une nouvelle question : "Que vous importe ?", "Est-ce que l'on sait où l'on va ?" sont totalement atypiques dans la tradition narrative du XVIIIè siècle. Le ton est celui de la provocation amusée.
On a l'impression que le narrateur se moque du lecteur en voulant le désintéresser du comportement de ses personnages soit par leur vide "Le maître ne disait rien", soit par un emboîtement de parole au style indirect qui rend la lecture pénible : "et Jacques disait que son capitaine disait que…"
Cette moquerie aboutira à la fin de notre extrait à l'interruption de l'histoire commencée par le narrateur, qui affirme sa création artificielle et sa totale liberté, sans aucun souci de vérité par rapport à la réalité de l'histoire vécue : "Vous voyez, lecteur, qu'il ne tiendrait qu'à moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois ans, le récit des amours de Jacques, en le séparant de son maître et en leur faisant courir à chacun tous les hasards qu'il me plairait. Qu'est-ce qui m'empêcherait de marier le maître et de le faire cocu ? d'embarquer Jacques pour les îles… Qu'il est facile de faire des contes ! Mais ils en seront quittes l'un et l'autre pour une mauvaise nuit, et vous pour ce délai." On