Devoir de contrôle n°1 pour bas eco
Image du père
Je revois son visage furtivement enjoué, ses cheveux bien coiffés, plaqués, la raie du côté gauche. J’entends sa voix chaleureuse et son phrasé à l’élocution(1) parfaite. Il articulait comme il pensait, de manière très claire. Et pourtant, son esprit enchevêtré entre le paradoxe, l’humour et une aisance extrême à passer, sur tout sujet, de l’analyse à la synthèse, donnait lieu à des périodes oratoires qu’il savait rompre, casser, reprendre, comme un clown funambule se rattrape à son fil. La tristesse tendre de son regard laissait toujours à penser que, pour mon père, le pire de la vie n’était sûrement pas la mort.
(…) Ma vie, elle a grandi et tourné autour de la sienne. Rien de ce qui m’est advenu ne lui fut étranger. Nous étions toujours ensemble ou toujours fâchés, mais jamais en eau calme. (…) Aussi loin que je remonte, j’ai le souvenir d’avoir été un frelon(2). Et lui, quand il n’était pas la tour imprenable, il était acacia, arbre noble et rebelle aux piquants meurtriers. Passant entre les épines, je venais prendre ma force au milieu de ses fleurs pareilles à des glycines amères.
Certains naissent orphelins. Je le suis devenu à plus de quarante ans. Et n’allez pas penser que ce soit chose banale. Tous ceux qui perdent leur père ne le sont pas pour autant. Je serais même enclin à penser qu’en règle générale, la mort de nos parents nous pousse au premier rang, fait de nous des aînés. En règle générale… mais en cas particulier, je n’ai connu l’amour et la notoriété qu’à travers ce qu’il avait préalablement vécu, entrepris et parfois comme raté pour moi. Malgré des guerres immenses, jusqu’à en venir aux mains, nous étions bien le même. Depuis qu’il est parti, je me sens une moitié, une moitié de moi-même qui court après une ombre qui ne reviendra plus.
Pascal Jardin ; Le