De l'amitié Montaigne
Séquence 1 : L’humanisme de Montaigne
Lecture analytique n°2
De l’amitié
Mais je reviens à ma description de l’amitié, de façon plus juste et plus exacte :
On ne peut pleinement juger des amitiés que lorsque, avec l’âge, les caractères se sont formés et affermis.
[Cicéron, De l’amitié, XX]
Au demeurant, ce que nous appelons d’ordinaire « amis » et « amitiés », ce ne sont que des relations familières nouées par quelque circonstance ou par utilité, et par lesquelles nos âmes sont liées. Dans l’amitié dont je parle, elles s’unissent et se confondent de façon si complète qu’elles effacent et font disparaître la couture qui les a jointes. Si on insiste pour me faire dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en répondant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » [355].
Au-delà de tout ce que je peux en dire, et même en entrant dans les détails, il y a une force inexplicable et due au destin, qui a agi comme l’entremetteuse de cette union [356]. Nous nous cherchions avant de nous être vus, et les propos tenus sur l’un et l’autre d’entre nous faisaient sur nous plus d’effet que de tels propos ne le font raisonnablement d’ordinaire : je crois que le ciel en avait décidé ainsi. Prononcer nos noms, c’était déjà nous embrasser. Et à notre première rencontre, qui se fit par hasard au milieu d’une foule de gens, lors d’une grande fête dans une ville [357], nous nous trouvâmes tellement conquis l’un par l’autre, comme si nous nous connaissions déjà, et déjà tellement liés, que plus rien dès lors ne nous fut aussi proche que ne le fut l’un pour l’autre.
Il écrivit une satire en latin, excellente, qui a été publiée, et dans laquelle il excuse et explique la précipitation avec laquelle se produisit notre connivence, parvenue si rapidement à sa perfection. Destinée à durer si peu, parce qu’elle avait débuté si tard (alors que nous étions déjà des hommes mûrs, et lui, ayant quelques années de plus que moi), elle n’avait pas de