De quoi peut-on faire l'expérience ?
« Je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive. » Dans ses Mémoires d’Outre-tombe, Chateaubriand exploite plusieurs dimensions de l’expérience : expérience sensorielle par le biais du chant, expérience qui se nourrit du vécut, expérience du souvenir actualisé qui devient mélancolique au vu de l’instant présent. Ainsi, l’expérience, du latin experientia soit l’ essai, l’épreuve, la tentative est une notion qui recoupe dans le langage actuel des réalités très diverses. Cette diversité s’exprime mieux dans la langue allemande : le seul terme utilisé en Français peut se traduire par Erfahrung , l’expérience au sens pratique, par Erleibnis , l’expérience comme évènement ou Versucht, l’expérience comme essai. La notion d’expérience est donc problématique en elle-même, puisque, sans tomber dans le relativisme elle varie selon l’époque, le bagage culturelle et les convictions propres à chaque philosophe.
Se demander « de quoi puis-je faire l’expérience » fait écho au « que puis-je connaître » de Kant : il s’agit non seulement de définir une notion mais également d’explorer les caractéristiques propres à l’homme dans les limites de sa condition. La notion d’expérience soulève à ce titre un problème qui est à la fois d’ordre existentiel et épistémologique. Ainsi, on observe double tension entre la question de la nature de l’expérience, et celle de son partage et de sa communicabilité. En tant que personne, en tant que « je » quelle est la nature des expériences que je peux faire ? Mais si nous admettons que ce « je » se définit par l’existence non seulement d’une conscience de soi, mais surtout par les relations que j’entretiens avec l’altérité, alors à quel degré puis-je partager une expérience ? Si nous admettons que le critère de la réalité se fonde sur une vision commune du monde, comment pouvons- nous à la fois affirmer la réalité de l’expérience et admettre que