Le XIXe siècle est le siècle de la presse et du roman, dont les développements respectifs sont fortement liés. En effet, certains journaux, comme le Journal des débats, publiaient des romans sous la forme de feuilletons, ce terme désignant à l’origine la partie inférieure d’une page. Chaque jour ou chaque semaine était publié un nouvel épisode, l’objectif étant de susciter l’attente du lecteur afin qu’il achète le numéro suivant. C’est ainsi que furent publiés Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, fresque populaire se déroulant dans les quartiers les plus mal famés de la capitale. Avant d’entamer son récit, le narrateur, dans un long incipit, présente ce projet de placer l’intrigue dans un tel milieu. Cet exposé théorique est cependant loin d’être ennuyeux. Comment le narrateur parvient-il à capter l’attention du lecteur avant même le début de l’histoire ? Nous étudierons d’abord la présentation de ce projet romanesque, puis la description des bas-fonds parisiens pour nous interroger finalement sur l’angoisse suscitée chez le lecteur.
Cet incipit n’est pas narratif : avant de narrer son histoire, le narrateur veut conclure un pacte avec son lecteur et justifier sa démarche.
Afin de capter l’attention du lecteur, le narrateur cherche d’abord à établir une forme de complicité avec lui, avant même le début du récit. Le lecteur est ainsi explicitement nommé, dès la ligne 10 : « Ce début annonce au lecteur qu’il doit assister à de sinistres scènes. » Le narrateur semble vouloir lui donner la parole, lui demander son avis ; le lecteur pourrait refuser que le narrateur raconte son histoire. Celui-ci demande donc son consentement : « S’il y consent, il pénétrera dans des régions horribles. » De plus, le narrateur établit une complicité avec le lecteur en affirmant qu’ils ont une culture commune, un horizon d’attente partagé, comme le montrent les formulations indéfinies suivantes : « Tout le monde a lu les admirables pages dans lesquelles Cooper, le Walter Scott