Commentaire de texte sur les petits bourgeois de balzac
Dans tout Paris, il était impossible de trouver une barbe et des cheveux comme ceux de Poupillier. Il se tenait courbé jusqu’en deux, il tenait un bâton d’une main tremblotante, une main couverte du lichen qui se voit sur les granits, et il tendait le chapeau classique, crasseux, à larges bords, rapetassé, dans lequel tombaient d’abondantes aumônes. Ses jambes, entortillées dans des linges et des haillons, traînaient d’effroyables sparteries1 en dedans desquelles il adaptait d’excellentes semelles en crin. Il se
5 saupoudrait le visage d’ingrédients qui simulaient des taches de maladies, graves, des rugosités, et il jouait admirablement la sénilité d’un centenaire. Il eut cent ans à compter de 1825, et il en avait réellement soixante-dix. Il était le chef des pauvres, le maître de la place, et tous ceux qui venaient mendier sous les arcades de l’église, à l’abri des persécutions des agents de police et sous la protection du suisse, du bedeau, du donneur d’eau bénite et aussi de la paroisse, lui payaient une espèce de dîme.
Quand, en sortant, un héritier, un marié, quelque parrain, disait : « Voilà pour vous tous, et qu’on ne tourmente personne », 10 Poupillier, désigné par le suisse2 son successeur, empochait les trois quarts des dons et ne donnait qu’un quart à ses acolytes, dont le tribut s’élevait à un sou par jour. En 1820, l’avarice et sa passion pour le vin furent les deux sentiments qui lui restè- rent ; mais il régla le second et s’adonna tout entier au premier, sans négliger son bien-être. Il buvait le soir, après dîner, l’église fermée ; il s’endormit pendant vingt ans dans les bras de l’ivresse, sa dernière