Commentaire albert cohen (1895-1981), le livre de ma mère (1954)
Comme les enfants, comme le poète, Albert Cohen invente une comptine, un chant incantatoire, envoûtant, où il convoque dans un désordre apparent les souvenirs de son enfance émerveillée, et au centre de cet inventaire, rayonne une figure prégnante, bienfaisante, aimante, soignante, celle de sa mère. C’est pour effacer une faute grave, ne pas lui avoir assez témoigné son amour et son admiration, que l’auteur a écrit Le livre de ma mère.
L’énumération s’ouvre par une emphase lyrique, une « convocation » “Ô mon passé” (et cette tentative d’appropriation est comme un exorcisme pour contourner cette absence définitive), et se clôt par « ô sons morts du passé, fumées enfouies et dissoutes saisons. » Le texte se retourne sur lui-même ; l’auteur exprimant au moyen de ce chiasme (« fumées enfouies et dissoutes saisons ») la dissolution universelle, par des sonorités nasales et des diphtongues. On part de l’intime, de la chambre fermée, de l’heure du sommeil, pour naviguer dans un univers douillet et rassurant d’odeurs quotidiennes, de goûts familiers, de lumières paisibles ; et de ce cocon tissé inlassablement par Maman, on sort peu à peu, on va à l’école pour y apprendre à réciter et à écrire, le jeudi c’est le monde qui entre à la maison avec (peut-être) le Journal de Mickey, ou un autre ; comme