Un ami, qui est peintre, vient de me raconter une conversation qu'il eut avec d'autres peintres et qui devint très vite aigre. Les uns (dont mon ami) soutenaient que l'artiste doit demander à la nature les éléments de son œuvre et qu'un tableau doit représenter une montagne, une femme, une personne, n'importe quoi, mais quelque chose. Les autres affirmaient qu'un peintre ne doit rien représenter et qu'un peintre trouve tout dans son esprit. Vous savez qu'on appelle les premiers peintres figuratifs, les seconds peintres non figuratifs ou abstraits. Pour moi, je pense qu'un homme a le droit de peindre comme il l'entend. Si son instinct lui commande d'être abstrait, pourquoi pas ? Beaucoup de beaux ornements, dans les époques les plus anciennes, étaient faits de lignes, de cercles, de courbes ondulantes. les faïences arabes sont décorées d'arabesques non figuratives et il y en a de parfaites. Là où je cesse de comprendre, c'est quand mon homme se met en colère parce qu'un autre peintre veut continuer à représenter des femmes, des fleurs ou des fruits. Il n'est pas possible qu'un type de peinture qui a produit depuis des siècles d'admirables tableaux cesse soudain d'avoir le droit d'exister parce qu'un groupe a décidé de lancer un type de peinture différent. C'est cette intolérance que je n'admets pas et qui est un des plus fâcheux caractères de notre époque. On le retrouve en littérature, en politique, en toutes choses. La mode nous mène et non le goût, ni le jugement. Tout se passe comme si le monde commençait aujourd'hui. C'est faux, et nous le savons bien. Le monde est ce que l'ont fait des milliers d'années de civilisation. Renier ce qui nous précéda ? Cela voudrait dire : retour à la sauvagerie, au dénuement, à la terreur primitive. Bien plus. Il n'y a pas de commencement. L'homme primitif lui-même était un résultat, non un début. Abolir le passé n'est pas seulement absurde, c'est irréalisable. Parce que le passé est en nous. Repartir à