Chine
Entretien avec François Jullien Le Monde 2 – 3 décembre 2005 « Après l’agrégation, j’ai passé mes deux dernières années de normalien en Chine, pour y apprendre le chinois et découvrir une autre pensée, à mettre en parallèle avec la pensée grecque ». François Jullien nous initie à la pensée chinoise avec le savoir d’un sinologue féru de philosophie grecque… Convaincu que la pensée chinoise n’a rien d’exotique et qu’elle interpelle nos grandes conceptions de l’action, du temps, de la sagesse ou du bonheur – ce que nous prenons pour des « universaux » -, François Jullien revisite la pensée européenne à la lumière des grands penseurs chinois, de Lao Tseu à Confucius et Lu Xun – l’intellectuel révolutionnaire des années 1920. Le résultat est une série d’essais à la fois savants et déroutants. Dans Eloge de la fadeur (1991), il montre comment le « fade », dédaigné en Europe, peut au contraire être une valeur aux yeux des Chinois : il est ce qui n’attire pas mais ce qui n’exclut pas, et est donc inépuisable. Une personne fade pourra être appréciée pour son détachement, sa réserve et sa disponibilité. …Dans Nourrir sa vie (2005), il révèle comment, en Europe, on nourrit soit son corps, soit son esprit, mais pas sa vie – comme le veut la pensée chinoise, en invitant à affiner et à conserver son « souffle-énergie » par une pratique du corps et de l’introspection… Mais le sinologue et philosophe s’intéresse aussi à la Chine contemporaine, par exemple à la « transformation silencieuse » engagée par Deng Xiaoping (19041997) - qui a su transformer le régime communiste en puissance capitaliste -, ou à son efficacité économique. Le fait est que la Chine constitue, pour nous Européens, le « Grand Autre ». Le monde arabe ou le monde hébreu nous demeurent liés par l’histoire et de grands textes formant un héritage commun. Nous sommes aussi liés à l’Inde par la langue – le sanscrit – car, du grec au sanscrit, il existe de nombreuses ramifications.