Cheavalier double
La nouvelle de cette disparition* se propagea instantanément dans le quartier. Des femmes inconnues traversèrent les terrasses pour venir prendre part à la douleur de Rahma et l’exhorter à la patience. Tout le monde se mettait à pleurer bruyamment .Chacune des assistantes gémissait, se lamentait, se rappelait les moments pénibles de sa vie, s’attendrissait sur son propre sort.
Je m’étais mêlé au groupe des pleureuses et j’éclatais en sanglots. Personne ne s’occupait de moi. Je n’aimais pas Zineb, sa disparition me réjouissait plutôt, je pleurais pour bien d’autres raisons. D’abord, je pleurais pour faire comme tout le monde, il me semblait que la bienséance* l’exigeait ; je pleurais aussi parce que ma mère pleurait et parce que Rahma qui m’avait fait cadeau d’un beau cabochon de verre, avait du chagrin* ; mais la raison* profonde peut-être, c’était celle que je donnais à ma mère lorsqu’elle s’arrêta, épuisée. Toutes les femmes s’arrêtèrent, s’essuyèrent le visage, qui avec un mouchoir*, qui avec le bas de sa chemise. Je continuais* à pousser des cris* prolongés. Elles essayèrent* de me consoler*. Ma mère me dit :
-Arrête ! Sidi Mohammed, on retrouvera Zineb, arrête ! Tu vas te faire mal aux yeux avec toutes ses larmes.
Hoquetant, je lui répondis :
-Cela m’est égale qu’on ne retrouve pas Zineb, je pleure parce que j’ai faim* !
Ma mère me saisit par le poignet et m’entraîna, courroucée. Ahmed SEFRIOUI, La boite à merveilles, 1954,